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Qui est Chiron ?

Mythologie

Grecque

Lmythologie Grecque nous aide à comprendre les enjeux de la construction psychique.

Faire appel à la mythologie c’est faire appel à cette préhistoire de l’homme occidental qui fonde le socle de notre évolution.

Dans ses dernières formulations, la mythologie grecque nous livre les échos d’un monde enfoui mais qui continue à œuvrer dans les profondeurs de notre inconscient. La lecture symbolique de ces mythes est une clé précieuse dans la compréhension du fonctionnement humain.

L’exégèse du mythe de Chiron nous donne une idée de ce que recèle cette mine ontologique.

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Naissance de Chiron

Dans la mythologie grecque, l’éducateur des dieux est le Centaure Chiron, né des amours du Dieu du temps Kronos transformé en cheval et d’une jeune nymphe fille de l’Océan.

Les Centaures, ces êtres mi-homme mi-cheval sont connus pour être des créatures violentes et peu agréables à fréquenter. Chiron fait exception car il n’est pas un véritable Centaure. Il est né des amours du Titan Kronos avec la nymphe Philyra, fille de l’Océan. En effet, afin échapper à la vigilance de son épouse Rhéa, Kronos s’est transformé en cheval. C’est sous cette forme chevaline qu’il batifola avec Phylira une jeune nymphe qui mit au monde quelques mois plus tard le Centaure Chiron.

Ce dernier occupa une place très particulière dans l’Olympe puisqu’il devint l’éducateur de tous les jeunes Dieux et Héros. Or, dans les mythes, chaque détail a son importance et il n’est certes pas innocent que le dieu-éducateur soit ainsi affublé d’un corps mi-homme, mi-cheval. Ces éléments serviront de repères symboliques pour comprendre les constituants nécessaires à ce qui vont permettre d’éduquer, c’est-à-dire conduire l’enfant sur le chemin de la réalité, à la rencontre des autres et de lui-même. Voyons donc ce qu’il faut devenir pour être un éducateur aussi performant que Chiron.

Chiron présenté par Camille Laura Villet

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Le monde de l'Olympe

Kronos est le fils de Gaïa et d’Ouranos. Il fut chargé par sa mère Gaïa d’émasculer Ouranos qui ne voulait pas desserrer son étreinte empêchant ainsi ses enfants de sortir de son ventre. Il réalisa ainsi la première grande déchirure entre la terre et le ciel et permit aux Titans de voir le jour. La castration d’Ouranos engendra le cycle de la temporalité.

Le sexe tranché d’Ouranos tomba dans la mer où il forma une écume. En jaillit Aphrodite, la déesse de l’amour qui met le désir au cœur de tous les êtres.

En premier lieu, on soulignera le fait que Chiron est le fils de Kronos (Saturne chez les romains), le dieu du temps. Dans la Cosmogonie (« Les travaux et les jours, la théogonie » 1995, éd. Arléa) Hésiode raconte que Gaïa la terre mère, première grande déesse du monde cosmique, engendra elle-même Ouranos, le ciel qui s’accoupla aussitôt avec elle dans une étreinte qui dura plusieurs siècles.

Mais Gaïa, enceinte des Titans, ne pouvait mettre au monde ses enfants à cause de l’étreinte continue d’Ouranos qui leur fermait l’issue. La gestation dura un temps infini jusqu’à ce que la terre, grosse et gémissante sous le poids de son époux, demandât à l’un de ses enfants, Kronos, le dernier conçu, de la délivrer.

Muni d’une serpe, Kronos, prisonnier du ventre de sa mère, guetta l’arrivée d’Ouranos et trancha son sexe lors de l’accouplement ce qui provoqua le détachement des deux amants. Il réalisa ainsi la première grande déchirure entre la terre et le ciel et permit aux Titans de voir le jour. La castration d’Ouranos engendra le cycle de la temporalité.

Nous pouvons d’ores et déjà lire en filigrane dans cette naissance la première coupure vécue par l’enfant au moment de la naissance : un enfant qui a séjourné durant « des siècles » dans le ventre maternel protecteur et qui tout a coup, est soumis à cette terrible déchirure de la naissance. Mais c’est aussi une étape qui lui donne accès au ciel. La première castration apparaît donc comme cette coupure du cordon ombilical qui fait de l’enfant un être « au monde ».

On notera que du sexe tranché d’Ouranos se formera une écume d’où naîtra la Déesse Aphrodite, grande déesse de l’amour. Autrement-dit la perte du ventre maternel sera aussitôt comblée par ce cordon d’amour et d’attirance libidinale qui permettra à l’enfant de surmonter et dépasser cette première césure à l’origine de son existence autonome.

La déchirure de Kronos provoqua la naissance de tous les enfants de Gaïa qui constituèrent la race des Titans. Kronos devint le premier Roi des dieux et ouvrit le cycle du temps. Il épousa sa sœur Rhéa et, afin d’éviter d’être détrôné à son tour par l’un de ses fils, comme le lui avait prédit sa mère Gaïa, il avala les enfants que Rhéa mettait au monde, les uns après les autres. Tout comme Ouranos avant lui, il n’avait pas envie de céder la place à ses enfants. C’est une tendance inconsciente que nous trouverons présente chez de nombreux pères. Par ailleurs, le premier temps de l’enfant, le temps de Kronos est un temps cyclique qui ne semble avoir jamais de fin.

Kronos régna ainsi longtemps jusqu’à ce que sa femme, lasse à son tour de voir disparaître sa progéniture, décide de sauver le troisième né, Zeus, en substituant à son fils une pierre entourée de langes que le dieu crut avaler. La ruse ayant réussi, Zeus fut donc élevé à l’insu de son père par des nymphes et une fois devenu grand, il vint libérer ses frères et sœurs, toujours prisonniers du ventre de Kronos.

Il devint alors à son tour le Roi de l’Olympe, la troisième génération qui clôt le règne des dieux. Il partagea son hégémonie avec ses frères et évita ainsi de se faire détrôner à son tour par l’un de ses fils. Cependant, il ne put empêcher la venue de la race des hommes créée par Prométhée qui prirent la suite des aventures.

Dans ce moment mythique de l’enfance de l’humanité — qui est aussi le temps de l’enfance individuelle —, nous voyons se mettre en place le lent enchaînement des règnes temporels arrachés à l’éternité :

Le règne de Gaïa et d’Ouranos évoque ce temps de gestation au cours duquel les trois processus sont imbriqués. L’enfant est encore en gestation dans le ventre de sa mère et son père bien que présent dans le trio est encore invisible.

La castration d’Ouranos, première déchirure entre le ciel et la terre, donne à voir les principes qui régissent la naissance de l’enfant ; ce moment précis où, éjecté du ventre maternel, il se trouve projeté dans l’existence entre le ciel et la terre. C’est le moment qui marque son entrée dans sa propre histoire. Ce temps, le temps de Kronos, est alors encore un temps cyclique, sans véritable coupure, juste rythmé par les longs moments de sommeil entrecoupés des tétées.

Puis viendra le temps des Olympiens avec Zeus qui organisera le monde et différenciera les tâches. Le monde s’ordonne progressivement autour de l’enfant et lui permet de structurer sa propre intériorité.

Chaque Dieu de l’Olympe représentera un des aspects de la vie du nourrisson qui s’éveille au monde, un monde époustouflant de richesse, d’objets à appréhender, de curiosités à découvrir.

Mais ces Dieux ou plus exactement les fils des Dieux vont avoir un tuteur. En effet, les premiers grands Dieux, les douze Dieux qui constituent l’Olympe s’éduqueront tout seul, ce qui est normal dans la mesure où ils représentent les grands principes vitaux qui animent l’homme. En revanche, leurs enfants vont avoir besoin d’un guide.

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Chiron, fils de Kronos

Kronos sera à son tour détrôné par Zeus malgré sa tentative d’avaler ses enfants. Il ne pourra arrêter la marche du temps. Zeus à son tour devra partager sa table avec les hommes et concéder à Prométhée l’existence de ses créatures si imparfaites. Il donnera néanmoins aux premiers Demi-Dieux un fabuleux éducateur. En effet, Chiron, mi-homme, mi-cheval symbolise la quintessence de ce que doit être un bon éducateur. Il va devoir maîtriser avec sa tête d’homme les pulsions désordonnées du cheval sauvage.

En tant que fils de Kronos, Chiron est l’héritier de ce premier mouvement temporel à l’origine des cycles de l’existence. En grec, Chiron signifie « main », d’où est dérivé le terme chiromancie. C’est la main en tant que symbole de la destinée qui dessine, dès l’enfance, les sillons du temps à venir. Chiron va apprendre aux dieux et aux héros à rassembler leurs aventures autour d’une logique destinale dont, en bon fils du temps, il détient le secret.

Son état de Centaure lui confère un statut incontestablement ambigu et au premier abord, peu sympathique. En effet, les Chimères de son engeance ont une réputation détestable d’êtres violents et grossiers ; ainsi sont-ils peu appréciés dans l’Olympe. Mais Chiron nous l’avons souligné, n’est pas un véritable Centaure. Il est issu de kronos qui a pris la forme d’un cheval pour tromper sa femme. Le temps s’est ici matérialisé en une forme particulière et riche de symboles, qui nous conduit vers la piste de ce que peut être, aux yeux des Grecs, l’archétype de l’éducateur.

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Chiron, fils d'une nymphe océanique

Par ailleurs, Chiron est aussi le fils de la nymphe Philyra qui signifie « tilleul », une plante connue dès l’Antiquité pour ses vertus apaisantes. On l’utilisait d’ailleurs en tisane pour faciliter l’endormissement des enfants. Par conséquent, Chiron est aussi l’héritier, par sa mère, de ce processus thérapeutique qui calme les humeurs.

Il convient aussi de souligner que Philyra est une nymphe océanique qui vit dans les eaux profondes près de Poséïdon. Cet élément liquide n’est pas sans rappeler les eaux du liquide amniotique où a séjourné l’enfant dans le ventre maternel. Un monde liquidien lointain qui évoque le monde inconscient encore si proche de l’enfant qui arrive au monde. Il est donc tout à fait logique que le Dieux éducateur ait des accointances avec ce lieu qui va servir de socle au moi de l’enfant.

Nous voyons que les éléments symboliques du mythe convergent vers cette nécessité, pour l’éducateur, d’aider l’enfant à organiser son système de pulsions. C’est effectivement ce processus pulsionnel, poussant l’enfant en avant de manière encore incontrôlée, qui va permettre son intégration dans la temporalité. À l’inverse des autres véritables Centaures qui se laissent emporter par leurs pulsions agressives, Chiron affiche une maîtrise parfaite de lui- même. Ce n’est donc pas un vrai cheval. Il contrôle la part animale en lui, tout comme l’éducateur oriente les pulsions des enfants vers des activités qui donnent une cohérence à leur fonctionnement. Le cheval est l’archétype métaphorique de ce que Freud a appelé les pulsions partielles, c’est-à-dire celles qui doivent peu à peu se réunifier autour du désir et provoquer le sentiment de l’individualité du Moi. Il ne s’agit certes pas d’associer le sujet à l’animalité, mais de comparer son système pulsionnel naissant à la fougue de l’animal.

Tel Chiron, l’éducateur va devoir accompagner l’enfant dans son développement temporel en l’emportant sur sa croupe de centaure pour lui apprendre à chevaucher le courant de l’histoire. L’éducateur doit donc, avant tout, être le fils du temps et être conscient de l’importance des rythmes ce qui suppose une certaine maturité, mais surtout il doit être en mesure de connaître les étapes temporelles qui scandent le développement intérieur de l’être en devenir.

Or, le temps est une notion fort complexe, comme le suggère la métaphore mythique de l’avalement des enfants. Le temps de Kronos, le temps originel, contient tous les temps en devenir : aussi bien le temps linéaire de la croissance, qui porte l’homme vers le déroulement d’une historicité et qui se conquiert, que le temps immobile, le temps de l’origine, le temps éternel toujours en relation avec les profondeurs de l’être et qui est aussi le temps du rêve et de l’oubli. Entre les deux, se noue le temps de l’épigenèse qui crochète les étapes de l’évolution et permet à l’être de surfer sur la vague invisible du devenir. Toutes ces formes de temps induisent des comportements pédagogiques différents et il est primordial de les avoir repérés et intégrés, pour que la trans-mission et la trans-formation soient possibles. Mais là encore, Chiron va nous suggérer par quel moyen se transmet une telle expérience.

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Symbole du cheval

Le cheval est en effet connu à la fois pour son extraordinaire qualité de coureur mais aussi pour son esprit de liberté et d’indépendance. La vision d’un équidé caracolant librement dans la campagne par exemple, génère cette image d’une liberté sauvage qui se laisse difficilement apprivoiser. Telle la vague écumeuse qui court sur les eaux comme le char de Poseïdon, le cheval représente l’émancipation du processus pulsionnel et donne à voir, dans sa splendide musculature, le travail du mouvement à l’œuvre dans le corps. C’est l’image même de l’enfant qui gesticule dès les premiers instants, sa bouche, ses bras, ses jambes s’exerçant à ces premiers mouvements pulsionnels symbole de vie. Les pulsions partent dans tous les sens à la rencontre du monde, à la rencontre des autres et bien sûr, elles vont devoir être ordonnées, contrôlés, maîtrisés. C’est là où la pertinence du symbole du cheval se révèle.

En effet, le cheval est indissociable de la notion de cavalier qui renvoie à son tour à la maîtrise de cette impulsivité et de cette fougue naturelle. Le Centaure, qui se caractérise par une tête et un buste humains sur un corps de cheval, symbolise cette position de l’homme qui dompte les pulsions sauvages naissantes. On peut donc penser que ce stratagème qui fait de Chiron un Centaure n’est qu’une manière de mettre en évidence la nécessaire volonté de maîtrise, par l’éducateur des dieux, de l’élément pulsionnel de l’être qui s’éveille à la vie.

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Chiron éducateur

Il enseigne aux jeunes héros de l’Olympe deux disciplines majeures :
– le tir à l’Arc, symbole de la visée et de la mort.
– la musique qui fait le lien entre le ciel et la terre.

Pour éduquer les dieux, Chiron les conduit dans sa grotte mais personne ne sait au juste ce qu’il s’y passe. La mythologie fait de nombreuses fois référence à cet antre et à l’enseignement dispensé par Chiron mais reste muette sur le contenu de l’enseignement. Comme si ce qui était important était davantage lié à l’idée d’isolement et d’osmose entre le maître et l’élève. Chiron a lui-même été formé par Apollon, au tir à l’arc ainsi qu’à la musique, les deux disciplines maîtresses du Dieu de l’amour. C’est donc autour de ces deux matières qu’il va falloir chercher la substance de la transmission.

• Le tir à l'arc

L’arc est un symbole particulièrement important non seulement dans la mythologie grecque, mais dans la plupart des mythologies. Il implique deux qualités maîtresses : la force qui permet de bander l’arc et l’adresse nécessaire à la visée. Dans le tir à l’arc, l’être rassemble ses forces autour d’une visée, c’est-à-dire d’un objectif extérieur. Nous trouvons dans ce geste symbolique, le moyen de rassembler les pulsions partielles évoquées plus haut autour d’une finalité. Or, quelle est la finalité de la flèche ? Projetons-nous un instant dans une forêt et imaginons un chasseur à la recherche du gibier son arc prêt à être bandé. Voici que la marche hésitante de notre chasseur est stoppée par la vision d’un animal. Le chasseur tend son arc, vise et tire. L’animal s’effondre au sol. Qu’y a-t-il au bout d’un lancé de flèche ? La mort ! Comment justifier que le premier apprentissage des Dieux soit l’apprentissage de l’art de tuer ? N’y a-t-il pas dans ce geste quelque chose d’inhumain ?

Pour comprendre et accepter un tel geste nous ne devons pas quitter le plan symbolique qui sous-tend en permanence l’acte des Dieux de l’Olympe. En effet, le temps se présente comme l’acceptation d’une finitude laquelle n’est possible que parce que l’homme est mortel et qu’il le sait. L’entrée dans la temporalité et dans l’histoire suppose donc la conscience et l’acceptation de cette finitude. C’est cette conscience qu’il est mortel qui différencie l’homme de tous les autres règnes et qui lui permet d’accéder à la conscience.

En bandant son arc et en pointant sa flèche, le chasseur s’exerce à viser son devenir dans une réciprocité implacable. C’est-à-dire qu’en tuant, il doit réaliser que toute chose en ce monde est mortelle et lui-même n’échappe pas à la règle. Ici l’apprentissage de l’art de tuer rejoint l’art d’apprendre à mourir. Et le paradoxe absolu est que cette acceptation de la mort est la condition de la vie. Le trajet de la flèche dessine le parcours de la destinée en reliant le début et la fin de l’existence.

La mort scande le temps de l’aboutissement, le temps linéaire qui pousse l’être vers une finalité insondable. C’est ce temps qui « altère » la permanence qui permet aussi l’altérité, c’est-à-dire cette nécessité de toucher l’Autre dans une rencontre qui n’est possible que parce que les êtres sont mortels. L’enfant l’accepte dans la mesure où les adultes qui l’entourent l’acceptent eux-mêmes et sont dégagés de l’angoisse de la mort. Il l’accepte aussi parce que de son jeune âge, celle-ci lui apparaît lointaine. Nous comprenons ici les traumatismes qui peuvent toucher les enfants en cas de mort prématurée d’un parent ou d’un proche.

Le parent éducateur est par conséquent un être qui doit avoir dépassé le stade de la première finalité de l’apprentissage. Apprendre à marcher, à parler, puis plus tard à lire, apprendre à écrire, apprendre à compter… ne sont que les formes actuelles de l’apprentissage du tir à l’arc, qui propulse l’enfant vers un devenir.

• La musique

Le deuxième élément de l’apprentissage est la musique. Apollon est le dieu qui maîtrise cet art à la perfection et qui l’a transmis à Kiron. Est-ce à dire que tout parent devrait être musicien ? Ce n’est pas nécessaire si l’on a compris le rôle particulier que tient l’apprentissage de la musique dans l’histoire de l’homme.

Dans l’Olympe, elle est avant tout l’art qui sert à charmer les dieux. Pour l’homme, elle est l’autre métaphore de l’histoire temporelle. Elle est le fil ténu qui, au-delà des mots, relie les hommes au sacré tout en rythmant leur marche laborieuse dans l’existence. Elle est le référent de la deuxième composante du temps, ce temps de l’éternité, qui semble rester à la même place et qui relie l’être à l’essence primordiale. Or, l’enfant qui vient fraîchement d’arriver dans ce monde est sensible à cette mélodie silencieuse qui transcende les mots et qui trahit la valeur de l’être qui parle. Dans la langue française, il est aisé de faire un rapprochement entre la voix et la voie. La métaphore que cette homophonie suggère est assez banale mais n’est en rien dépassée. Car c’est dans le ton de la voix que passe l’essentialité de l’être qui parle. Françoise Dolto a montré que les nourrissons ont une compréhension parfaite du langage qui s’adresse à eux comme s’il saisissait le sens à la simple sonorité. C’est donc cette mélodie du son et du sens qu’il va falloir maîtriser en maniant dès le premier instant le langage. Apollon est ainsi le dieu qui règne sur la porte de Delphes, lieu des oracles, lieu de communication entre les dieux et les hommes. Et c’est effectivement dans cet entre-deux, ce lieu de passage, que s’élabore ce qui est essentiel dans l’accompagnement de la vie.

Enfin, Apollon qui maîtrise si bien la musique est aussi le Dieu de l’amour. Entre les deux temps qui portent l’homme sur le fil de l’existence, l’amour crochète l’armature de soutien nécessaire à cette avancée périlleuse, mais surtout il se saisit des moments circonstanciels, de ces portes qui s’ouvrent et qui sont l’occasion d’une avancée. Quoi de plus enchanteur qu’une maman qui fredonne une berceuse ?

Mais la musique annonce aussi l’entrée dans un autre temps, celui de Zeus qui invite tout être à entrer dans sa propre par la rigueur d’un apprentissage exigeant. La nécessité des gammes montre que c’est par ce jeu de la répétition que l’enfant peut acquérir une armature solide. Cette exigence se retrouve dans les rythmes imposés à l’enfant : rythme du jour et de la nuit ; rythme des tétées à intervalle régulier, rythme des changes et des contacts…, puis plus tard, rythme des moments de travail qui vont s’intercaler entre les moments de jeux.

Le rythme est ce qui permet la construction d’une colonne vertébrale bien verticale qui ouvre l’enfant à tous les possibles qui se dégagent sur son horizon.

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Fin de Chiron

La fin de Chiron est intéressante, voire interpellante. En effet, Chiron a dû troquer son immortalité et réclamer la mort. En effet, Chiron, fils de Titan, est lui-même immortel. Or, involontairement blessé à la jambe par Héraclès — lui-même éduqué par Chiron —, et face à la douleur intolérable de sa blessure, il propose d’échanger son immortalité avec Prométhée (ou un autre mortel selon les mythes).

Un tel élément ne peut laisser indifférent sur le sort réservé à celui qui transmet le savoir. Tout se passe comme si l’éducateur devait un jour disparaître et choisir lui-même de disparaître. Par ailleurs, que signifie cette blessure infligée par l’un de ses plus brillant élèves auteur notamment des douze fameux travaux ?

Est-ce que cela signifie que l’éducation ne dure qu’un temps pour les parents ? On pense aussitôt à la difficulté pour les parents de regarder leurs enfants autrement quand ceux-ci ont atteint l’âge adulte. Comment se départir de ce regard éducateur et établir une relation d’adulte à adulte ?

On peut également être interpellé par la souffrance insupportable de Chiron. Cela veut-il dire qu’il y a une souffrance épouvantable à voir les enfants s’éloigner et à accepter de ne plus être leur guide ?

Dans "Maitres et disciples", (éd Gallimard,2003), Georges Steiner a montré le rapport ambiguë qui existe entre « Maitres et Disciples ». Il analyse notamment les effets de trahison dus au dépassement du Maître. Mais il montre aussi que c’est cette ambiguïté des liens de transmission qui engendre le développement de la pensée au cours de l’histoire. Peut-on tenter une analogie de cette métaphore avec le lien des parents et des enfants ?

C’est peut-être l’enjeu actuel. On a le sentiment très net que quelque chose est en train de changer dans les transmissions. Jusqu’à une époque récente les parents transmettaient leur propre éducation, leur culture, leur patrimoine… Aujourd’hui, on a le sentiment que quelque chose d’autre est en question. Il s’agit davantage d’aider l’enfant à se construire et de s’affranchir au contraire de certains aspects de la transmission notamment des difficultés psychiques. Il semble que les enfants attendent qu’on les aide avant tout à grandir et à trouver leur liberté.

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