Les troubles du comportement regroupent un nombre important de situations affectant les enfants : troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyper activité, troubles oppositionnels, troubles des conduites, échec scolaire, et pour les plus âgés addictions, clochardisation… Ils témoignent d’une difficulté majeure dans la relation que l’enfant établit avec son entourage.
La dénomination de « troubles du comportement » par les professionnels de l’enfance a eu pour effet de rassurer les parents qui ont tendance à voir dans cette terminologie, la source neurologique de la problématique. Et c’est bien là que réside la difficulté. En effet, ces troubles sont davantage la conséquence d’une cause qu’il est impératif de chercher pour trouver un remède à la situation et non l’inverse. Autrement-dit les comportements déviants sont la conséquence des problèmes rencontrés par l’enfant dans la construction psychique. Ils témoignent de la difficulté pour l’enfant d’aller à la rencontre des autres, d’accepter les règles sociales et donc de construire une autonomie lui permettant de jouir des relations.
Pour beaucoup de parents, le trouble ainsi déterminé ne peut émaner que d’un problème interne à l’enfant, voire d’un dysfonctionnement de son système nerveux.
Par ailleurs, si le milieu social joue incontestablement un rôle dans la fréquence de ces troubles, on constate que de plus en plus d’enfants concernés grandissent dans des familles d’un milieu social plus favorisé.
Dans les familles déstructurées, le rôle du thérapeute se trouve simplifié dans la mesure où il peut constater les problèmes provoqués par une éducation chaotique des parents :
pas d’horaire respecté, peu de parole et souvent des cris pour se faire obéir, incohérence des injonctions, père absent, attitude infantile, instabilité familiale… Les déséquilibres relationnels ont des conséquences visibles et confortent les théories sur l’importance des règles de la transmission parentale. Ainsi, dans la construction de la conscience, la première règle consiste à faire entrer le nourrisson dans un rituel quotidien qui, tout en le rassurant sur la stabilité de son entourage, lui apporte un cadre structurant.
C’est beaucoup plus compliqué dans les familles de classes plus favorisées qui ont le sentiment de transmettre une éducation correcte en respectant les règles et surtout en donnant beaucoup d’amour. Pourquoi les enfants n’emboitent-ils pas systématiquement le modèle familial qui est souvent fait de sérieux, d’exigence de travail et de présence affectueuse ?
Ces situations plus difficiles à expliquer nous laissent entendre que depuis quelques années, une transformation s’opère dans la sphère collective de la transmission.
Sans doute, pensera-t-on qu’il en a toujours été ainsi en raison du conflit des générations : les enfants de la bourgeoisie ont souvent été rebelles. Le problème est qu’il s’agit moins de révolte que de difficultés comportementales qui démarrent très tôt et qui grèvent gravement l’avenir de ces enfants en perturbant leurs années d’apprentissage.
Tout se passe comme si les enfants d’aujourd’hui présentaient une sensibilité particulière et surtout une plus grande exigence concernant le comportement des adultes. Autrement dit, ce qui aurait pu être sans conséquence dans les générations précédentes semble être aujourd’hui exacerbé.
Les parents ne peuvent plus se permettre de regarder grandir leurs enfants. Ils sont aussitôt impliqués dans un questionnement qui les remet en cause. C’est sans doute de cette exigence nouvelle que pourra naître un autre niveau de conscience dans les générations futures.
Cette situation trouve une résonance dans le mythe de Prométhée et plus particulièrement dans les circonstances de sa délivrance.
Prométhée a été enchaîné sur le Mont Caucase à la demande de Zeus qui ne lui a pas pardonné d’avoir donné aux hommes le feu divin. On se souvient en effet que Prométhée est allé voler le feu dans la forge d’Héphaïstos pour le donner aux hommes afin que ces derniers soient en mesure de se développer. Ce détournement de la puissance divine au profit des hommes n’a pas été accepté par Zeus. Sans doute soupçonnait-il les hommes de ne pas être capables de manier un tel pouvoir.
Prométhée endure sa peine avec courage et l’image de son enchaînement est évocatrice de l’enchaînement des hommes à la terre. Mais qu’en est-il de sa délivrance ? La pièce écrite par Eschyle du Prométhée délivré a été perdue, mais on connaît son contenu qui s’est transmis au travers des différents commentateurs des tragiques grecs. On y explique que Prométhée connaît le secret qui permettra à Zeus de ne pas être détrôné comme l’ont été son père Kronos et son grand-père Ouranos. Autrement dit, Prométhée sait comment arrêter le cycle des générations. Il suffira que Zeus renonce à épouser Thétis laquelle sera promise à Pelée, un mortel, avec qui elle enfantera Achille. Ainsi Zeus ne sera pas détrôné et Prométhée retrouvera sa liberté.
Que signifie cette libération pour les hommes ? Ils peuvent difficilement renoncer à se reproduire, mais en revanche, ils peuvent arrêter d’aller toujours plus loin dans l’exploitation prométhéenne de la terre, se détourner d’un pseudo-progrès et mettre fin à une transmission aveugle, de génération en génération, de problématiques que les enfants d’aujourd’hui ne veulent plus porter. Cela suppose bien sûr une évolution de la conscience au point qu’elle serait à même d’envisager l’avenir et d’y confirmer les valeurs les plus hautes de l’homme.
Par Linda Gandolfi
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