top of page

Tous les posts          Chroniques          Newsletters          Vidéos          Coups de cœur          Édition          Nos partenaires

L'importance de la mythologie dans l'éducation

Dernière mise à jour : 18 janv. 2022


LA MYTHOLOGIE OU LES NOUVEAUX GUIDES DE L’ÉDUCATION

RÉINVENTER LES REPÈRES

La mythologie, une redécouverte

Après la période chrétienne qui a fait la chasse au polythéisme, les mythologies grecques et romaines ont subi une longue période de rejet et à part quelques apparitions fugaces et déguisées, il faudra attendre la Renaissance pour qu’elles retrouvent une place dans le monde des arts et de la littérature. F Schelling est l’un des premiers à avoir inséré la mythologie grecque au cœur de la recherche philosophique en montrant qu’elle constituait une étape cruciale dans le lent procès de l’accès de l’homme à la temporalité.

Parmi les philosophes qui lui ont emboité le pas, citons :

– Nietzsche avec la « Naissance de la Tragédie »[1] qui nous révèle l’impact des puissances apolliniennes et dionysiaques au cœur même de la conscience humaine,

– Mircéa Eliade[2] qui a replacé le procès mythologique dans l’économie du sujet,

– W F Otto[3] qui a largement inspiré Jean-Pierre Vernant[4], Marcel Détienne[5] et Vidal-Naquet[6],

– Jacqueline de Romilly[7] avec son inoubliable « Patience mon cœur »,

– P Diel[8] qui a défriché le symbolisme de la mythologie grecque,

– mais aussi l’américain Campbell[9] ou l’italien Calasso[10] qui ont tenté de faire les liens entre la mythologie et la construction du sujet occidental.

L’ensemble de ces travaux avec des approches assez différentes ont permis de revaloriser la mythologie grecque et de montrer le rôle actif des mythes dans l’économie du sujet. Tout individu repose en effet sur un fond mythique, trame de la toile psychique qui constitue le premier étage de l’accès à la conscience. Ce n’est donc pas étonnant que la psychanalyse ait rencontré dans son exploration quelques mythes fondateurs qui ont permis à Freud d’asseoir sa théorie notamment au regard de la libido et des fondements narcissiques de l’ego. Jung de son côté, a fait à la mythologie une place de choix.

Aujourd’hui, le regain d’intérêt manifesté par le grand public pour la mythologie et les mythologues tel J-P Vernant permet de supposer que l’heure est venue de dévoiler les secrets du monde de l’Olympe. C’est donc à ce point précis que se situe la synthèse opérée par l’école d’anthropologie pragmatique qui tente de donner une cohérence anthropologique aussi précise que possible à cet ensemble de travaux multidisciplinaires.

Jean-Pierre Vernant a tenté de cohérer la mythologie autour d’une psychologie sociale ce qui en a profondément réduit sa portée. En effet, en ne prenant pas en compte la partie inconsciente du sujet, la psychologie ne donne qu’une approche très superficielle d’un sujet qui se réduit à la partie visible de son histoire. La mythologie ne peut être séparée de son lieu originel à savoir l’inconscient à partir duquel elle œuvre en silence. Elle nous conduit dans la nuit obscure des premières formations psychiques et révèle le passage précis entre la période anhistorique de l’être et ce moment de l’histoire du sujet qui prend corps avec la temporalité.

Ainsi, la cohérence du monde mythique est à chercher du côté de l’histoire anthropologique du sujet, au croisement de la phylogenèse et de l’ontogenèse, qui est au centre des recherches de l’eap depuis plus de 20 ans[11]. Ces légendes décousues et fantaisistes venues d’un autre temps s’ordonnent alors dans la quête d’un but : l’accès à la conscience du sujet naissant à l’existence. C’est donc au cœur même de l’incohérence apparente de la mythologie, dans les méandres de ce foisonnement de récits baroques que git, en attente depuis des siècles, une des explications les plus extraordinaires de la construction de l’homme. De plus, elle rend accessible par des images symboliques touchantes les découvertes les plus complexes concernant l’organisation psychique amenées aussi bien par la psychanalyse que par les neurosciences.

La plupart des auteurs dont Schelling et Mircéa Eliade ont insisté sur le caractère particulier de la mythologie grecque unique en son genre, et l’ont distinguée des mythes proprement-dit. En effet, les mythes, non encore ordonnancés par le logos grec, se perdent dans la nuit de l’humanité. L’écho qui vient jusqu’à nous s’effiloche dans la trame du temps historique et ne laisse transparaître que les traces d’un temps révolu. Il faudra attendre les poètes tels Homère ou Hésiode qui vont enchâsser ces légendes dans la logique d’un premier discours, le logos, pour qu’apparaisse un ordonnancement des récits. Les Aèdes finiront de les structurer en leur donnant une charpente verbale. Comme les histoires sans cesse racontées aux enfants, les Grecs vont donner une structure logique à leurs mythes en traduisant au travers de ces divinités et comme l’affirme Schelling, ce moment particulier de leur propre accès à la conscience. C’est dans ce moment précis qu’il nous est donné de voir la trame psychique en construction.

Ainsi à l’origine…

Au départ, dans la nuit utérine la plus profonde, un principe féminin Gaïa, la terre mère inébranlable de toute chose, nous dit Hésiode[12], nait du chaos. Avant elle, un premier principe organisateur, Eros, avait vu le jour. Gaïa engendre elle-même Ouranos, le ciel, qui va l’enlacer dans une étreinte interminable en repoussant loin dans son ventre les enfants qui naissent de cette union. Le processus d’engendrement par filiation est lancé. Il aura ses règles, les plus importantes étant celles d’un dualisme constant entre une avancée et sa résistance. Gaïa a donné naissance à un principe masculin, Ouranos et ce dernier refuse de céder sa place en s’opposant à la venue de ses enfants. Les mères enfantent des fils qui, aussitôt nés, prennent le pouvoir. Mais Gaïa qui étouffe sous les ardeurs d’Ouranos va demander au dernier né Kronos de la délivrer. Au moyen d’une serpe dentée, Kronos va sectionner le sexe d’Ouranos qui, à jamais privé de son phallus, va se retirer définitivement dans le ciel.

Schelling a vu en Kronos bien plus qu’une métaphore. Il est l’étape de la conscience qui s’éveille à l’homme par pur effet de sa propre négativité et qui se traduira par l’intériorisation d’un principe de dualité à l’origine de toute chose. Non seulement la dualité ne détruit pas le principe unitaire de la conscience mais elle le conforte. En effet, toute division suppose au préalable une unité. Quand la division survient, comme par exemple au moment de la naissance, on peut supposer que le fonctionnement unitaire de l’enfant est prêt à recevoir le choc de cette séparation. La voute céleste s’ouvre dévoilant la lumière du jour et le ciel et la terre sont à jamais séparés.

L’expérience clivante des corps se traduit par ce que Lacan a pointé comme l’acte fondateur de l’existence : la disparition du Phallus on ne peut plus clairement signifié dans le mythe, par la castration d’Ouranos. La naissance donne le ton de ce que sera l’avancée de l’être dans l’existence, une série de séparations et de pertes engendrées par le temps qui se déploie dans l’espace. Dès lors, l’expérience de la dualité qui caractérise l’existence peut se poursuivre : s’éveiller/dormir, emplir son estomac/le vider, être en contact/se retrouver seul dans son berceau…, autant d’expériences qui construisent l’accès à la réalité, c’est-à-dire la conscience des autres et de soi.

Kronos règne sur le monde avec sa sœur Rhéa qu’il a épousé, entouré des autres Titans. Il avale ses enfants au fur et à mesure que Rhéa les met au monde reculant le plus possible par cette invagination le moment où il devra se retirer à son tour. Sa mère, Gaïa, l’a prévenu, il sera lui aussi détrôné ; c’est la loi du temps, sa propre loi. Pour l’heure, les puissances titanesques mènent la danse : l’être expérimente la durée au travers des cycles de la présence absence de la mère. La temporalité, ou le temps de l’oralité, se met en place au travers des liens noués dans la satisfaction des besoins du nourrisson aussi bien physiologiques qu’affectifs. L’être avale le monde mais il n’est pas juste traversé par lui ; ses forces titanesques sont là, bien présentes, pour lui permettre de s’y opposer en le métabolisant. Ainsi le premier monde de l’enfant est un monde titanesque où évoluent des êtres étranges : les cyclopes nous donnent une idée de ce que peut être la vision des nourrissons, les Géants sont à l’image des parents des êtres immenses, et les cents-bras agitent nerveusement leurs tentacules qui sortent du corps…

Dans ce monde titanesque, un premier ordonnancement est à l’œuvre. Lors de la séparation de Gaïa et d’Ouranos, le sexe de ce dernier, tombé dans l’océan, forma une écume d’où jaillit une très belle femme : l’incontournable Aphrodite. En effet, bien que liée aux Titans et à cette période particulière des premiers moments de l’être, Aphrodite va occuper tout l’espace mythologique depuis le début. Et pour cause ? Elle est celle qui vient aussitôt faire lien entre les deux principes, le ciel et la terre alors séparés. Elle-même anime un principe double notamment souligné par Platon dans le Banquet : l’Aphrodite vulgaire a trait à l’éros et aux pulsions libidinales qui assaillent le nourrisson et l’Aphrodite transcendée, celle qui recouvre tous les aspects de l’amour divin et qui va soutenir le lien affectif entre le nourrisson et sa mère.

La pertinence du mythe est ici d’une rare finesse. Elle réconcilie à la fois les tenants de la vision psychanalytique qui mettent en avant le courant libidinal qui organise les pulsions de l’enfant vers la mère et les tenants d’une vision plus spirituelle qui mettent en avant le courant d’amour qui lie aussitôt l’enfant à sa mère. Les deux Aphrodite se superposent dans le but de combler la béance ouverte par la séparation. Amour et Eros ne font qu’un au départ et dominent le paysage où se déploient les efforts titanesques de l’enfant au prise avec l’existence. Cette première organisation temporelle tourne essentiellement autour de la répétition des périodes de contacts, de sommeil, d’alimentation qui viennent scander la vie du nourrisson. Le monde s’ordonnance entre ces moments partagés où s’apaisent aussi bien les crampes d’estomac que les premières angoisses de solitude.

Aphrodite à jamais immortalisée par Botticelli gagne le rivage sur un coquillage et accoste sur la terre ferme où les Heures viennent la vêtir. Le temps se présente ainsi pour l’être comme un premier vêtement, une première enveloppe lui permettant de poser son pieds encore si léger, sur la terre maternelle.

Un monde qui s’anime

Le temps s’enroule sur l’île des bienheureux dans une quasi éternité jusqu’à ce que Rhéa estime que le tour de ses enfants est venu. Sur les conseils de sa mère, elle cache le dernier né, Zeus et donne en échange à avaler à Kronos une pierre habilement entourée de langes. Ce dernier ne s’aperçoit pas de la supercherie tout comme l’enfant n’a pas conscience des changements qui s’opèrent dans son intériorité et qui vont lui permettre de franchir une autre étape. La pomme laiteuse du sein maternel se tarit. L’oralité appelle son contraire, l’analité. L’enfant absorbe avidement l’image maternelle mais il va aussi devoir avoir conscience qu’il l’élimine. Pour cela il va devoir accepter qu’il est unique donc qu’il est seul au milieu des siens, seul au monde. C’est le prix à payer de l’individualité. C’est donc loin de la cour de Kronos, sur le Mont Ida que Zeus fut élevé entouré de nymphes attentives et affectueuses et nourri par la chèvre Amalthée.

Le mythe montre ici qu’une part de l’enfant échappe à l’attrait du paradis de Kronos et aspire à autre chose. Loin de tout, à l’écart de sa famille et surtout avec la permission maternelle, l’enfant grandit à l’insu de tous. Sans que l’on s’en doutât, il construit son intériorité et pose les jalons de sa propre histoire.

Devenu grand, Zeus viendra affronter son père et l’obligera à vomir ses frères et sœurs. Mais Kronos ne se laisse pas faire et il y aura une guerre. L’enfant est animé de forces contraires : les forces titanesques au départ conservatrices de son intégrité résistent à laisser la place au temps nouveaux qui s’annoncent.

Aidés des cyclopes, des géants et des cents-bras, ces premières entités informes, Zeus vaincra les Titans et les enfermera dans les profondeurs du Tartare. Les premières forces pulsionnelles qui ont animé le nourrisson rejoignent le soubassement de son être. Elles ne meurent pas car les Dieux sont immortels et la sauvagerie de ce temps là peut toujours remonter à la surface.

Kronos représente une succession de temps détachés qui donne l’impression d’un temps nouveau à chaque fois. C’est le temps des dessins animés qui plaisent tant aux enfants. L’instant prédomine l’existence qui est toute entière absorbée par ce moment. Seul le discours imaginaire de l’enfant fait les liens. Le temps Kronos est par conséquent un temps qui favorise le mouvement car la continuité d’une activité par exemple, ne peut se poursuivre trop longtemps.

On peut comprendre ici l’agitation des enfants qui ont des difficultés à émerger du temps Kronos et à passer dans la durée. Ils sont à la fois en guerre contre eux-mêmes et contre les autres dont ils ne pénètrent pas le fonctionnement. La réalité ne les capte pas suffisamment et ils s’appuient sur un temps intérieur imaginaire et donc essentiellement fait d’une succession d’images. Ils peuvent être violents telle la violence des Titans et ont du mal à se concentrer car tout ce qui vient de l’extérieur et qui implique une continuité les agresse. Le jeu devient alors un refuge qui réitère la jouissance fusionnelle au regard de l’effort de concentration que réclame la réalité.

Arrivé au pouvoir, Zeus va œuvrer pour organiser le monde de l’Olympe. Il tire au sort la domination des territoires et délimite 3 secteurs :

Les mers et les tremblement de terre qui symbolisent le monde imaginaire d’où l’être s’origine sont attribués à Poséidon, ancienne divinité puissante et belliqueuse qui a tendance à tout envahir et mordre sur les territoires des autres, tel le fantasme qui domine la réalité quand il n’est pas maîtrisé. Le monde souterrain qui accueille les morts est attribué à Hadès, un monde inaccessible mais indispensable pour donner les limites et le sens de la vie. Enfin Zeus s’arroge le ciel qui illumine l’espace de ses éclairs de conscience. On peut rapprocher ce premier ordonnancement des trois cercles lacaniens : imaginaire, symbolique et réel au nouage desquels apparaît le Moi du sujet. La grande famille des Dieux olympiens peut alors commencer à jouer sa partie faisant s’animer pour nous de manière tout à fait judicieuse les liens des différents ingrédients qui construisent l’intériorité de l’être.

Cette vision tripartite du sujet s’emboîte dans la construction temporelle également en trois grandes étapes : À la suite du premier jaillissement du Chaos, Gaïa et Ouranos ont posé les jalons d’une fusion quasi éternelle. Puis Kronos et Rhéa ont régné à leur tour générant la troisième étape avec Zeus et Héra. Chaque étape propose une animation des grands principes qui régissent l’évolution. Ouranos, Kronos et Zeus ne sont qu’une même figure à des temps différents de leur histoire ; ils évoquent l’organisation de ces principes à l’œuvre dans la quête de l’unité de l’être. L’ensemble des mythes de la mythologie grecque forment ainsi une unité qui trouve son ordonnancement au regard des principes qui tissent la toile psychique.

Ainsi Zeus, avec la maîtrise de la foudre, évoque l’éclair de la pensée, et commande au reste de la psyché. Il enfante les trois grandes divinités qui vont représenter les grandes figures de prou de l’évolution : Apollon, Dionysos parfaitement cernés dans leur essence par Nietzsche dans « Naissance de la Tragédie »[13] sans oublier Athéna qui sort entièrement habillée et casquée de la tête de son père et qui représente le combat de la pensée. Tout ce monde s’entrechoque comme le bouillonnement qui assaille l’être. Ainsi Athéna, vierge car la pensée réclame cette pureté originelle, s’oppose aux pulsions sexuelles et se trouve souvent en lutte avec Poséidon qui représente les forces instinctuelles primaires. Lors de la dispute pour la domination d’Athènes, Poséidon offrira le cheval symbole du mouvement et Athéna offrira la bride. Poséidon fera également jaillir l’eau du sol et Athéna plantera un olivier. Les symboles se conjuguent montrant le travail intérieur de liens indispensables à la conscience. Les Dieux et Déesses auront de nombreuses liaisons : point de vulgarité dans cette manifestation qui symbolise les connexions internes qui soutiennent ce difficile apprentissage de la vie.

Chaque divinité joue sa partie dans une logique précise nous conduisant lentement jusqu’à la création et l’émancipation des hommes par Prométhée. Le temps est venu pour les Dieux de se retirer. Prométhée a livré à Zeus le secret qui lui permettra de ne pas être détrôné par son fils. Le rythme des trois générations s’achève montrant que c’est dans ces trois positions d’enfant, de parent et de grands-parents que s’accomplit le cycle de la vie.

Conclusion : A partir de la mythologie…

Ce cycle en trois phases montre l’emboîtement des problématiques essentiellement inconscientes qui se transmettent de génération en génération. Le canevas mythique permet de trouver un support à l’approche symbolique et de comprendre ce qui se rejoue entre les enfants et les parents dans les premiers mois de l’existence. Tout se passe comme si, à présent, nous étions en mesure de déjouer les déterminismes inconscients afin de préparer les enfants à une nouvelle étape de la conscience. Chaque enfant va devenir parent puis grands-parents à son tour actualisant à chaque étape la trame mythique sur laquelle résonnent les liens relationnels jusqu’à ce qu’une raison supérieure apparaisse. La trame mythologique est comme une immense toile idéelle qui a cependant assez de souplesse pour pouvoir absorber toutes les difficultés de cette construction. À la lumière des étapes de la construction psychique, cette mythologie s’éclaire d’un jour nouveau permettant d’interpréter chaque difficulté rencontrée dans l’enfance et lui donner un sens. Dans cette dialectique entre la toile mythique et la réalité relationnelle, se joue le défi actuel de l’évolution.


par Linda Gandolfi

[1] F Nietzsche, Naissance de la tragédie,

[2] M Eliade, voir notamment Aspect du Mythe,

[3] W F Otto, Les Dieux de la Grèce

[4] J-P Vernant, voir notamment

[5] Détienne

[6] Vidal-Naquet

[7] J De Romilly,

[8] P Diel

[9] Campbell

[10] Calasso

[11] R et L Gandolfi, La maladie, le mythe et le symbole,

[12] Hésiode

[13] Nietzche, Naissance de la tragédie

bottom of page