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Newsletter 9 : Dormir dans le lit des parents, quelles conséquences ?


Sommeil et éveil : la nuit et le jour


Le sommeil est une étape souvent compliquée pour les enfants et il semblerait même que ce soit de plus en plus souvent le cas. Face à cette difficulté et surtout devant la fatigue occasionnée, de nombreux enfants se retrouvent dans le lit des parents. Que faire ? Et surtout qu’est-ce que cela signifie ?


Remarquons d’ores et déjà que les plages de sommeil du nourrisson sont beaucoup plus nombreuses dans les premiers temps de sa petite existence que les plages d’éveil. Entre chaque tétée, l’enfant repu retourne dans son sommeil, signalant par cette attitude que la confrontation au monde qui l’entoure est bien difficile. Il a alors besoin d’une présence constante autour de lui, de soins fréquents, de chaleur et ce n’est que très progressivement qu’il s’éveille au monde. Très vite, il cherchera le contact rassurant de sa mère, la grande magicienne qui crée le monde autour de lui. Or, c’est un monde qui régulièrement s’allume et s’éteint.


La nuit, il est conseillé aux mamans de conserver un temps d’au moins cinq, six heures chaque nuit sans tétée, un temps qui devra normalement s’allonger pour atteindre au bout de quelques semaines les 7, 8 heures voir plus encore après quelques mois.


Du point de vue psychologique, il s’agit d’accepter un des premiers grands rythmes de l’existence qui introduit l’enfant dans la temporalité. Or, l’entrée dans le temps est une manière d’entrer dans l’existence, de prendre conscience de sa propre réalité et donc de s’éloigner du cocon maternel. Le processus du sommeil représente une étape fondamentale dans l’acquisition de cette autonomie.


Toujours et encore un problème de séparation


La nuit représente un moment spécifique où la lumière du jour s’éteint et fait place à une plage de repos ou chacun, parent et enfant, est invité à regagner son lit pour se laisser aller à ce nouvel état. Affronter cette phase si particulière se caractérise par un abandon du corps et laisse la place à un monde d’images, hors de la conscience.


On a longtemps cru que cette rêverie nocturne n’était d’aucune utilité et que le sommeil était surtout utile à une récupération physiologique. On sait aujourd’hui notamment grâce aux travaux des neurosciences et plus particulièrement avec l’étude du sommeil paradoxal que le psychisme est également impliqué.


Le sommeil paradoxal qui intervient après les plages de sommeil profond, se caractérise par un relâchement complet du corps qui va alors être traversé par des soubresauts trahissant une activité psychique intense. C’est au cours de cette période que l’on constate aussi bien chez les hommes que chez les femmes une érection sexuelle. Il peut y en avoir quatre ou cinq tout au long de la nuit ce qui n’est certes pas négligeable. On ne connait pas très bien la cause de cette manifestation physiologique, mais si on rapporte ce phénomène sexuel au rôle de l’activité libidinale dans les premiers moments de la vie, on peut penser qu’il s’agit là d’un processus compensatoire de l’angoisse diurne. En effet, si le sommeil a un effet réparateur du point de vue physiologique, il a tout aussi bien cet effet pour le domaine psychique. Or, l’activité sexuelle consciente ou inconsciente a quelque chose à voir au plus près avec l’angoisse de séparation.


Par conséquent, cette activité libidinale inconsciente réparatrice ne doit pas être négligée. Difficile alors d’imaginer de la vivre dans le même lit que les enfants !


C’est à ce titre que la nuit doit être et doit rester le lieu de l’intimité la plus profonde, celle que l’on partage avec son conjoint mais pas avec ses enfants. D’une part, ils doivent développer leur propre intimité avec leurs propres phénomènes sexuels, d’autre part, c’est dans cet espace nocturne solitaire qu’ils construisent leur intériorité psychique. Ce corps à corps érotique va devoir laisser la place à un échange fructueux où l’amour pourra se dire sans que le corps n’intervienne.

A ce propos, certains psychologues américains (de tendance new-âge) prônent le family bed ou le co-sleeping. Cela consiste à faire dormir les enfants dans le lit des parents jusqu’à ce que l’enfant réclame lui-même son autonomie et cela peut donc aller jusqu’à 7, 8 ans. Ce sont les mêmes qui incitent à l’allaitement sans limite. Cette proposition ne repose sur aucune théorie autre que le bien être soi-disant constaté de l’enfant. Il semble en effet que les enjeux de la construction psychique n’aient pas très bien été compris outre atlantique.


Pour appuyer notre démonstration, voyons comment la mythologie, source inépuisable de sens, nous présente ce premier grand rythme du jour et de la nuit.


La mythologie grecque à l’appui des neurosciences


En effet, directement inspiré par les Muses, Hésiode nous raconte l’histoire extraordinaire de la venue des dieux et des hommes sur terre. Ces histoires en apparence rocambolesques retracent en réalité, l’incroyable parcours de l’homme vers l’accès à la conscience de lui-même et du monde.


Chaos, le tout premier, donne naissance à Gaïa, la terre, Erébos, les ténèbres et Éros. Gaïa enfante Ouranos et engendre une première dynastie avec les Titans et les Olympiens. Erebos, les ténèbres, enfante aussi bien Héméra, le jour, que Nyx, la nuit. Cette dernière donne naissance aux jumeaux Hypnos, le sommeil et Thanatos, la mort.


Lorsque l’enfant arrive au monde, il sort de sa nuit utérine pour affronter Héméra, la lumière du jour. Hypnos, le sommeil le soustrait momentanément à cette lumière encore trop vive. La scansion entre la nuit et le jour et les deux états de veille et de sommeil réitèrent cette division primordiale entre l’enfant et sa mère qui n’est qu’une première déclinaison de la dualité qui l’habite et qui le prépare donc à sa confrontation avec le monde. Ainsi, le jour et la nuit nés tous deux des ténèbres, représentent les deux grands états de l’existence qui constituent le premier grand rythme de la vie. Cette déclinaison de la séparation originelle convie l’être à se confronter à l’existence et à en épouser le rythme.


Au début de l’existence, ces périodes de sommeils vont être très importantes de manière à ce que le nouveau-né s’ouvre très progressivement au monde. On comprend ici que la rencontre entre l’enfant et sa mère est le support à une autre rencontre plus générale entre le sujet d’un côté et le monde, de l’autre. Tel est l’enjeu de l’éducation : permettre à l’enfant de construire une intériorité, un sentiment de soi, en un mot, une conscience d’exister par lui-même. L’éducation des parents va devoir être entièrement mobilisée à accompagner leur enfant dans la construction de ce Moi et de trouver une place de plus en plus autonome dans la famille et l’acceptation de ce premier grand rythme est le premier indice de cette intégration. Mais voilà, « faire ses nuits » et accepter cette première solitude au fond du lit, ne va pas de soi.


Le sommeil chez les Grecs


Hypnos est le fils de Nyx. Il est aussi le frère jumeau de Thanatos, la mort. Cette

proximité du sommeil avec la mort nous convie à le mettre en opposition avec Héméra, le jour qui est alors assimilé à la vie.


Lors de l’endormissement qui soustrait l’être à la conscience du monde, tout semble s’éteindre comme dans une « petite mort ». Lorsque le jour se lève, à l’inverse, l’éveil symbolise la venue à l’existence.


Dans cette optique, le moment de sommeil représente un moment de solitude très particulier qui isole le sujet non seulement du monde extérieur mais des êtres qui l’entourent.


On comprend que la solitude soit ici difficile à accepter car elle équivaut pour l’enfant à s’abandonner à un état proche de la mort sans le soutien de ses proches, mais on comprend aussi l’importance de dépasser cette épreuve dans l’acquisition de l’autonomie.


Ainsi l’enfant — et ce à tous les stades de son développement —, cherchera toujours à dormir dans le lit des parents afin d’éviter cette confrontation si difficile avec ce qui va lui rappeler son insupportable solitude. Or cette acceptation est la condition absolue de la construction de sa psyché.


Le repli dans le sommeil implique donc d’une part, l’acceptation de cette petite mort angoissante et d’autre part, la certitude que le jour va à nouveau se lever. Lorsque cette acceptation est acquise, le coucher devient un délicieux moment de plaisir. Il pourra y avoir des phases où l’enfant est à nouveau sollicité à grandir et où il va à nouveau tenter de venir dormir avec les parents. Ces petites régressions ne sont pas graves. Il faut juste avoir la patience de rassurer l’enfant et le ramener doucement mais fermement dans sa chambre.


Tout processus de coupure et d’éloignement entrainera une résistance de la part de l’enfant, une résistance naturelle dans la mesure où cette solitude est une épreuve dont il ne mesure pas encore le gain. La tâche des parents sera ici de comprendre les enjeux de cette séparation et d’aider l’enfant à acquérir cette autonomie qui elle seule, sera sécurisante.


Ainsi, l’angoisse de l’endormissement, l’angoisse de la nuit qui nous plonge dans l’obscurité de l’existence n’est pas fortuite. Elle est normale et en aidant l’enfant à la surmonter chaque parent est interpellé sur sa propre angoisse dont il n’a le plus souvent pas conscience. C’est là où l’éducation est un extraordinaire jeu de miroir par lequel se renouvelle sans cesse l’origine de la vie.


La connaissance des processus et des enjeux du sommeil parait fondamentale pour accompagner l’enfant dans l’acceptation de ce premier grand rythme. Il sera toujours plus facile de se lever en pleine nuit et d’aider un enfant à se rendormir quand on comprend l’importance de l’enjeu.


Il faudra aussi interroger le rythme de l’enfant dans la journée. Comment il se structure, puis interroger également le niveau d’angoisse de la famille. Là encore, le mythe est d’une aide précieuse quand on sait qu’Hypnos va tomber amoureux d’une des Charités, une de ces Déesses pleines de vie et de joie qui peuplent l’Olympe. La journée devra par conséquent être suffisamment pleine et heureuse pour que l’enfant puisse affronter les démons qui peuplent le monde de la nuit.


Linda Gandolfi

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