Elisabeth Roudinesco rapporte dans son histoire de la psychanalyse[1], que Freud aurait dit à Jung, sur le bateau les conduisant en Amérique, à propos de la psychanalyse : « ils ne savent pas que nous leur apportons la peste ». Quelques années plus tard, Jacques Lacan compléta : « Mais Freud ne savait pas qu’elle avait un billet retour ».
En effet, que penser de toutes ces techniques comportementalistes qui nous viennent des USA ? La principale concerne « la pensée positive » avec son prolongement dans « l’éducation positive ».
La pensée positive est issue d’un ouvrage du pasteur américain, Vincent Norman Peale : « Puissance de la pensée positive » publié en 1952 et qui montrait les conséquences sur l’existence et notamment sur la santé d’une pensée optimiste. Il proclamait une sorte de méthode Coué teinté de religiosité pour se persuader que « everything will be okay ».
Depuis, la méthode est utilisée pour contrer les effets négatifs d’une vision pessimiste qui freine la guérison. Elle est surtout mise en avant face à « la conscience malheureuse » de la philosophie européenne, et s’oppose plus particulièrement à la psychanalyse qui est censée ne se préoccuper que de ce qui va mal.
Le livre « Cool parents, make happy kids, L’expérience inspirante d’une maman qui applique l’éducation positive au quotidien »[2] dont on soulignera le titre en anglais, de Charlotte Ducharme préconise en matière d’éducation positive :
« – trouver les bons mots – réagir de manière adéquate – amener votre enfant à coopérer ».
Elle précise plus loin : « J’ai changé ma façon de communiquer, j’ai changé de comportement face aux crises ou aux bêtises. J’ai essayé de comprendre, j’ai essayé de ne pas crier. »
On ne peut qu’être d’accord avec cette attitude !
La « pensée positive » réunit donc des techniques qui invitent à prendre la vie par le bon bout. Dans le domaine de l’éducation, il est préconisé d’analyser les comportements parentaux face aux situations qui posent problème : la désobéissance, les pleurs, les cris… On décortique les situations et on voit quelle est la meilleure réaction possible. Là on ne manque pas de faire appel aux techniques de langage telles la PNL pour permettre aux parents de changer d’attitude.
Modifier son comportement et s’intéresser aux besoins de l’enfant est certes une bonne chose mais ces chercheurs semblent négliger l’idée que quelque chose de plus profond peut se dire dans la relation, de manière inconsciente.
Si l’enfant évolue dans un espace où il n’a pas accès à la parole, il a en revanche une relation au monde qui laisse présager une compréhension différente et certainement plus profonde du monde qui l’entoure. En effet, en mettant en évidence que l’enfant vit dans un monde mythique au plus près des grandes vérités universelles, nous sommes en droit de nous demander si ses manifestations ne signifient pas quelque chose à prendre en considération au-delà d’un simple changement de comportement.
Il ne s’agit pas de trouver une recette pour calmer les colères, faire cesser les pleurs, dévier habilement les crises d’énervement… Il s’agit de comprendre que l’enfant perçoit les relations et les attitudes bien mieux que l’adulte et qu’il manifeste, par son comportement, une vérité profonde qui interpelle les parents dans leur propre inconscient. Il nous apparaît donc plus important non pas de le faire taire en prenant une posture de douceur et de bienveillance, mais de comprendre le message.
Une pure attitude comportementale héritée d’une technique risque de fausser la relation et ne pas permettre à l’enfant d’exprimer ce qu’il a à dire et qui est forcément juste.
Ces techniques d’approche des problèmes restent des techniques qui n’interrogent pas le pourquoi. Elles peuvent certes constituer une première étape vers une prise de conscience notamment du fait que l’attitude parentale est au cœur du problème, mais le risque est que l’efficacité de la méthode comportementaliste se contente de faire disparaître le symptôme.
Lors d’une séance des enfants de Chiron, une maman m’expliquait : vous savez, j’ai eu une enfance très difficile. Je traine un paquet de casseroles et j’ai vraiment tout fait pour éviter tout cela à ma fille. Elle ne réalise pas combien elle a de la chance. Moi, à son âge… etc… etc… La petite fille en question avait 12 ans et refusait tout cadre. Sa maman lui avait effectivement beaucoup donné avec beaucoup de « bienveillance et de positivité ». Mais ça se joue ailleurs et dans ce cas, il n’y avait pas de conscience des réels besoins de cette enfant qui était piégée par le désir totalement idéalisé de la mère. Tous les conseils de positivité auraient été vains. En revanche, nous cherchâmes pourquoi la relation difficile se rejouait ainsi et nous aidâmes la mère à comprendre que la bonne volonté ne suffit pas. Elle ne pouvait pas transmettre à sa fille une structure qu’elle n’avait pas elle-même construite et c’est cela que l’enfant disait. Grâce aux grandes étapes de la construction psychique qui nous sont accessibles notamment grâce à la mythologie, on l’aida alors à mettre en place cette structure. Elle constata à quel point les demandes de l’enfant lui servaient de guide. C’est là où les choses s’inversent dans l’éducation. L’enfant « sait » toujours plus.
Ainsi, Athéna accompagne Ulysse dans son cheminement et lui prodigue ses conseils. C’est le rôle des parents, mais encore faut-il que l’on chemine ensemble dans un vrai sillon de vérité et qu’on ne surfe pas sur une parole artificielle.
Chaque situation nous invite donc à aller plus loin ; remettre en question ses comportements, suppose d’aller regarder du côté de l’inconscient. Alors, le recul pris face à une situation sera un vrai recul et les réactions deviendront naturelles.
D’aucuns diront : tous les parents devraient se faire analyser ? Pas du tout. Car il s’agit moins ici de pathologie que de conscience. Le cycle des générations exige une meilleure appréhension de ce que nous véhiculons de manière inconsciente et doit nous aider à libérer les générations du fardeau du passé. L’éducation relève aujourd’hui d’une position différente qui implique une écoute particulière de l’enfant. Du fait de son accès à l’origine, l’enfant est la porte entr’ouverte vers l’essence du monde. Il contient en lui plus de sagesse que toutes les philosophies ne peuvent réunir. Ainsi, l’objectif n’est pas de faire cesser les comportements de manière artificielle, mais de comprendre ce qu’ils veulent dire.
Or, et c’est la particularité des Enfants de Chiron, ce langage nous est accessible par la mythologie. Il suffit de déchirer le voile symbolique qui recouvre l’épopée pour y trouver, non pas des recettes, mais des vérités profondes qui transcendent les âges.
Cette approche donne une nouvelle extension aux relations parents/enfants en mettant l’accent sur les enjeux du devenir. Vouloir éviter la complexité des relations n’est pas une solution. Les américains ont simplifié le travail analytique en allant au plus pressé et s’attachant aux comportements qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg. C’est une méthode qui donne des résultats à court terme et là est le danger car un jour où l’autre, elle montre ses limites.
Pour nous résumer et être malgré tout positif en ce début d’année, la pensée positive peut être un déclencheur de réflexion dans la mesure où le parent peut mesurer l’impact de leur comportement et de leurs paroles, mais cela s’arrête là. Il est important avant tout de comprendre pourquoi ça ne se passe pas bien et ce qui est en jeu plus profondément dans la relation.
Linda Gandolfi
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