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Newsletter 14 : Les colères des enfants

Rémi est un nourrisson adorable. Il dort bien, mange bien, sourit en permanence, sauf qu’il est pris chaque soir, à la même heure, d’une crise de pleurs inexpliqués que rien n’apaise.


Coline, 3 ans, a dit-on un caractère difficile. Elle râle pour un oui et un non et n’est jamais contente alors que, de ce fait, elle est élevée avec bien moins de sévérité que sa grande sœur.

Arthur, 5 ans, fait des crises de colère incroyable à tout bout de champ, sans raison véritable.

Anna a la fâcheuse habitude de gâcher la fête chaque fois qu’il y a une sortie en famille, pour des revendications insoutenables.


Comment expliquer ces crises de colère difficilement contrôlables qui peuvent surgir à tout moment et provoquer des pleurs, voire des hurlements, souvent sans commune mesure avec la situation ? D’où proviennent ces colères ? Sont-elles pathologiques ? Sont-elles inhérentes au caractère de l’enfant ? Sont-elles plus fréquentes dans les jeunes générations ? Devons-nous nous en inquiéter ? Comment y faire face ? C’est un sujet bien difficile que nous abordons ici car il faudrait y consacrer bien plus qu’un petit texte pour y répondre. Nous nous bornerons par conséquent à donner les grandes orientations de cette réflexion.



Manifestation de la colère

La simple observation de l’expression de la colère nous permet de constater qu’elle est le résultat incontestable d’un mécontentement profond. Chez le nourrisson, elle se manifeste par des pleurs stridents suivis d’une rougeur du visage et d’un essoufflement qui témoignent d’une grande émotion. Dans les premiers mois de la vie, on peut dire que la colère est la manifestation contraire de l’état de béatitude. Le sourire et l’état apaisé du nourrisson peuvent faire place sans raison apparente à cet état de pleurs si désarmant pour les parents.

Plus tard, la colère se manifestera toujours par des pleurs et des cris mais pourra être accompagnée de mots, voire d’insultes et de gestes violents. Autre constat qui n’échappe pas à l’observation : même l’enfant le plus sage du monde va avoir ses moments de pleurs. Et, s’il est très sage alors qu’il est nourrisson, n’ayez crainte, il va se rattraper par la suite même si, en prenant de l’âge et de l’assurance, ses colères manifesteront une désapprobation plus précise. Le refus d’obéir sera alors le lieu d’expression privilégié de cette colère.

Que signifie donc ce processus d’opposition quand on sait que, dans le cas du nourrisson par exemple, tout est généralement fait pour lui éviter tout désagrément ?



L’origine de la colère

La colère apparaît donc à l’origine comme la manifestation d’un état d’opposition entraînant une vive émotion. C’est donc dans la relation au monde, dans le contact avec celui-ci, qu’il va falloir chercher la source de cet état.

Freud parlera de la cohabitation inhérente à l’existence de deux sentiments contraires : l’amour et la haine, montrant ainsi que la relation de l’être au monde passe par l’acceptation de l’ambivalence des sentiments. Rien n’est sans son contraire.

Dans la Maladie, le Mythe et le Symbole (Linda et René Gandolfi, éd. Le Rocher, 2011), nous avons analysé en détail la nécessité pour l’être de s’opposer au monde pour pouvoir l’ingérer et le métaboliser. En effet, la conscience du monde suppose d’être « hors » de ce monde tout en en faisant partie. Nous avons ainsi montré qu’exister relevait de la capacité à résister à ce monde afin d’y construire une intériorité.

Le nourrisson qui fait l’expérience de la réalité n’a que peu de possibilités : Soit il jouit de ce monde en apaisant sa faim ou en profitant des câlins de sa mère, c’est le principe de plaisir, soit il le repousse chaque fois qu’il en sent le désagrément aussi bien physique que psychique. Ainsi il pourra s’impatienter si un biberon n’arrive pas assez vite, mais il pourra aussi, par exemple, s’énerver s’il ressent un isolement ; c’est le principe de déplaisir. La colère est ainsi l’expression plus ou moins violente de cette opposition qui ne peut alors que se manifester par cette émotion. Plus l’enfant sera capable d’assumer son désaccord et l’exprimer verbalement, plus il canalisera cette émotion. Mais ce sera le fruit d’un long apprentissage lié à sa capacité de métaboliser le monde et surtout d’accepter sa solitude, base de la construction du Moi.

Ainsi, en grandissant, les colères s’apaiseront et laisseront la place à l’expression de la désapprobation verbale chaque fois que l’enfant devra affirmer son opposition. Il y a notamment une période assez amusante au cours de laquelle l’enfant qui commence à parler, dit toujours « non » quel que soit ce qu’on lui propose. Ce n’est pas forcement accompagné de colère, mais c’est une attitude qui lui permet d’affirmer son identité face à la puissance des adultes autour de lui. Ce sont des « non » qui d’ailleurs, si on n’y prête pas trop attention, ne sont pas de vraies négations.



Quand la colère devient un mode d’affirmation de soi

Si ces moments de violence persistent et si l’enfant est toujours en opposition : quelle signification pouvons-nous donner à ce phénomène ? L’enfant, qui est sans arrêt en opposition, manifeste sa difficulté à construire un Moi autonome. Face à cette difficulté de se situer dans le monde, de s’y produire pleinement comme être, la colère qui n’est qu’un excès de réaction primaire lui permet d’affirmer sa volonté. Elle est alors pour lui, l’expression d’une puissance qui résiste à tout pouvoir mettant en danger son unité fragile. Les frontières du Moi doivent sans arrêt être affirmées pour que l’identité ne se délite pas face à la pression du monde. La colère est alors une tentative de négation de l’autre, les deux — l’autre et soi —, ne pouvant coexister sans danger. Il faudra bien sûr rechercher au sein de chaque famille pourquoi un enfant réagit ainsi et comprendre aussi qu’il exprime un malaise inconscient plus large qui concerne tous les acteurs de cette famille.



Comment aider un enfant à apaiser sa colère ?

– La première chose est donc de comprendre qu’il ne s’agit pas de caprices ou de mauvais caractère, mais d’une position difficile dans la famille. Si l’enfant se sent compris et s’il constate que l’on cherche une solution pour lui et qu’il a sa vraie place, il ira aussitôt mieux. L’ouverture des parents à une véritable écoute pourra même provoquer chez l’enfant la formulation de son malaise. On pourra alors constater comment un enfant peut être sensible à l’entourage.- Il est également important de repérer les moments où la colère s’exprime : ce sont la plupart du temps des moments de transition : se lever, s’habiller, aller déjeuner, partir le matin, venir à table alors qu’on est en train de jouer, aller au bain… tous ces moments qui nécessitent un changement, un passage d’un état à un autre. Le mouvement implique de prendre sur soi le changement. Si l’enfant ne se sent pas décideur de ce mouvement, il le vivra comme une contrainte insupportable à laquelle il s’opposera violemment : « C’est moi qui veux, c’est moi qui fais ». Par conséquent, on devra essayer d’accompagner ce mouvement en préparant l’enfant : par exemple le réveiller 10 minutes plus tôt le matin et le prévenir verbalement de ce qui va se passer. – Il sera aussi nécessaire de verbaliser son opposition : « je sais que tu n’as pas envie de .. », lui montrer les avantages de la situation à venir et ainsi créer des ponts temporels. Par exemple : « tes amis ont hâte de te retrouver à l’école ». Il ne s’agit certes pas de céder face aux revendications de l’enfant, mais de s’appuyer sur le langage pour apaiser son angoisse et le conforter dans son désir. En revanche, passé un certain âge, vers 6, 7 ans, si les colères persistent, la discussion ne sera plus d’aucun effet. Dans ce cas, il sera impératif de dénouer une relation œdipienne souvent trop contraignante. Et bien sûr tout cela sans s’énerver ! C’est le plus difficile car la cohérence des réactions de l’enfant n’est pas évidente à saisir. Ce ne sera vraiment possible que si les parents ont compris leur propre implication dans cette fragilité du Moi de l’enfant.



En conclusion

Nous avons choisi d’évoquer la colère en tant que processus actif de défense de l’unité de l’être. Notre propos reste cependant ambigu et on peut à juste titre se demander pourquoi les enfants « en colère » sont de plus en plus nombreux. On aurait pu évoquer la colère du Christ si bien représentée par Pasolini dans l’Évangile de Matthieu. Tout au plus, pouvons-nous affirmer que la colère est aussi le moyen d’exprimer un profond sentiment d’injustice. C’est dans ce sens que nous devons sans doute accueillir la colère des enfants.


Linda Gandolfi

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